Nous assistons depuis plusieurs années à des suicides de professionnels découragés dans l’exercice de leur activité conformément à leurs convictions et leur engagement. Il y eur la vague de suicides chez France Telecom/Orange, chez la police et la gendarmerie, dans l’agriculture, les transports et l’Education nationale.
Dans un rapport publié en 2010, l’INVS a estimé le taux de suicide dans les transports et télécomunication (secteur dont fait partie France Telecom) à 23,9 pour 100 000 salariés entre 1976 et 2002. Un taux parmi les plus élevés des différentes catégories socio-professionnelles. https://www.medisite.fr/deprime-et-depression-suicide-la-liste-noire-des-entreprises-et-metiers-a-risque.138740.110.html
Le suicide de Christine Renon, directrice de l’école Méhul à Bobigny, la semaine dernière, a ému la communauté enseignante qui s’est réunie ce jour pour lui rendre hommage et revendiquer une amélioration de leurs conditions de travail, conditions identiques à celles qu’énumère Christine Renon dans les courriers qu’elle a adressés pour expliquer son désespoir.
Tout le monde ne se suicide pas
Certains ne manquent pas d’expliquer le suicide par des problèmes familiaux, des problèmes financiers ou la frustration d’ambitions personnelles. Certaines personnes moins sensibles, narcissiques ou roublardes savent contourner les difficultés de la vie et rebondir. D’autres au terrain plus fragile (parfois héréditaires), minées par des carences affectives et peu de self esteem, ne croyant pas à une vie meilleure dans l’au-delà, hypersensibles et idéalistes, ne supportent pas de ne pouvoir mettre en oeuvre le meilleur d’elles-mêmes. Je pense à Emma Bovary, femme très éduquée pour son époque, éprise de respect et d’ambition qui ne trouvant pas de quoi s’épanouir dans la société misogyne et hiérarchisée du XIXème siècle, met fin à ses jours après avoir tenté de briller dans l’environnement de ses rêves. Ce personnage créé par Gustave Flaubert pourrait être l’allégorie de beaucoup de ces personnes qui se suicident faute d’avoir pu réaliser leurs rêves dans une société ne faisant pas place aux idéalistes.
Changements sociétaux au détriment des gens
La société française a connu des changements considérables depuis les années 80 avec la mondialisation, la déréglementation des services publics, les nouvelles technologies et les modes de consommation. Ces bouleversements ont induit des modifications radicales dans les activités professionnelles. Changer la vision de son avenir professionnel dans l’entreprise en mutation a créé des déchirements qui ont été rapidement identifiés comme « la souffrance au travail » (Christophe Dejours Souffrance en France – La banalisation de l’injustice sociale5, éditions du Seuil, 1998,)sans que les hiérarchies s’en préoccupent. Au contraire pour forcer les travailleurs à changer elles ont créé les DRH (direction des relations…humaines) avec pour objectif de gérer le personnel comme des objets.
Pour noyer le poisson et surtout ne rien faire, la « souffrance au travail » est devenue « stress » ou « burn out », pathologies qui se soignent avec des tranquillisants mais surtout pas par une remise en cause de la place du travailleur dans la société. Le libéralisme cynique en marchant à toute vitesse sur les corps de ses victimes.
L’Education nationale creuse sa tombe et celle de ses enseignants
Nous savons depuis longtemps que l’Education nationale de fait plus son travail d’éducation plus soucieuse de comptabilité (80% d’une génération reçue au bac), que de formation et d’intégration. On parle de nivellement par le bas et on constate que la plupart des étudiants ne maîtrisent pas la langue française, qu’ils ignorent les méthodes de travail et qu’ils sont ignorants en Histoire, en langues et en instruction civique. Les étudiants qui réussissent sont ceux qui fréquentent des établissements privés, si possible étrangers et que des dizaines de milliers d’entre eux quittent la France chaque années.
Les élèves qui restent dans les établissements publics sont les tout petits et, à partir du collège, les enfants les plus difficiles, souvent issus de l’immigration ou du lumpen prolétariat.
Que peuvent faire les enseignants face à des gosses de 5 ans qui urinent dans la classe, tripotent les fesses des petites filles ? Que peuvent faire les enseignants face à des enfants de 9 ans insolents et agressifs ? Que peuvent faire les enseignants face à des enfants de 11 ans qui les insultent, les frappent après les avoir menacés avec le soutien de leurs parents ? parents qui réclament du halal à la cantine mais délaissent les réunions de parents d’élèves, revendications religieuses, absentéisme, accusent pour une mauvaise note les enseignants de pédophilie, etc. En réponse, la hiérarchie n’a qu’une réponse #pasdevague.
Les problèmes que j’évoque ne reflètent pas la totalité des épreuves rencontrées par les enseignants et je vous laisse lire la lettre de Christine Renon qui répertorie en détail les difficultés insolubles qui l’ont conduite à quitter ce monde égoïste et cruel.
La Connectrice
https://positivr.fr/suicide-christine-renon-directrice-bande-dessinee/
Liberté. Égalité . Fraternité RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Circonscription de Pantin Pantin, le 21/09/2019 académie de Créteil éducation nationale
Affaire suivie par Christine Renon Directrice Téléphone 01 49 15 40 52
Courriel ce.0930491D@ac-creteil.fr
école maternelle Méhul 30, rue Méhul 93500 Pantin
Monsieur l’Inspecteur, Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Aujourd’hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée.
Les soucis depuis bien avant la rentrée se sont accumulés, c’est le sort de tous les directeurs malheureusement.
Il n’y a que les Inspecteurs/trices générals qui annoncent en réunion la voix légère que les directeurs ont de très lourdes responsabilités et qu’il vaut mieux être à leur place qu’à la nôtre, mais comment pensent-ils à améliorer nos conditions d’exercice ?
Encore du travail avec le RGPD, et encore je ne vais pas me plaindre, cette année, j’ai retrouvée une décharge complète.
La succession d’Inspecteurs qui passe à Pantin ne se rend pas compte à quel point tout le monde est épuisé par ces rythmes. Personne ne s’interroge sur les gens qui partent ! Sur le temps que travaille les directeurs !
A la rentrée, les personnels non nommés qui se présentent dans les écoles sans que les Inspections locales soient au courant, la course aux enseignants faite par l’inspecteur et moi-même pour mon école le samedi après midi pour le lundi, j’imagine que pour les autres cela a été pareil, le risque écarté le vendredi de fermeture de classe (A la maternelle Méhul il y a eu trois fois des changements de structures après la rentrée) tout cela concourt au stress des directeurs
Les remontées de tableau de structure !!!! mais à quoi sert onde ? Faut il donner de l’argent des coopératives pour que les inspecteurs aient une clé OTP !
Le travail des directeurs est épuisant, car il y a toujours des petits soucis à régler, ce qui occupe tout notre temps de travail et bien au-delà du temps rémunéré, et à la fin de la journée, on ne sait plus trop ce que l’on a fait.
part, j’ai toujours fait pour le mieux pour les élèves, les enseignants, les parents j‘ai essayé de me rendre disponible au maximum pour chacun, toujours répondu positivement à un service que l’on me demandait .
2/3
Je dois dire que l’accumulation de faits mineurs dont le plus grave de mon point de vue s‘est passé à l’extérieur de l’école, la réception des parents concernés, les concertations avec la psychologue scolaire, les entrevues ou échanges avec l’inspecteur m’ont plus qu’éprouvée !
En rien l’école n’est responsable de cela, mes collègues et moi même faisons de notre mieux pour la sécurité des enfants.
Mais les Directeurs sont seuls ! Seuls pour apprécier les situations, seuls pour traiter la situation car les parents ne veulent pas des réponses différées, tout se passe dans la violence de l’immédiateté. Ils sont particulièrement exposés et on leur en demande de plus en plus sans jamais les protéger.
La semaine après la rentrée, ils sont déjà épuisés
Le nombre de personnel dans des collèges qui reçoivent le même nombre d’élèves que nos école montre le degré de l’exposition et du stress dans les situations tendues quand on est seul
C’est une honte qu’il y ait des directeurs non déchargés
La perspective d’appeler une famille pour leur dire que leur enfant (alors qu’on est sûr qu’il ne l’a pas fait) est soupçonné d’avoir mis le doigt dans l’anus d’un autre (ils ont 3 ans tous les 2) dans la classe, l‘école ou le centre ! IMPOSSIBLE!, je ne peux pas le faire, c’est la goutte d’eau qui ce matin m’a anéanti, mais franchement, j’étais déjà très éprouvée.
La perspective aussi de devoir organiser des APC avec les horaires que l’on a. Franchement, prendre les enfants sur le temps méridien, cela peut les faire progresser ? au pire ils ont faim, au mieux ils digerent! Les prendre après, les prendre avant ? En quoi les rythmes de l’enfant à Pantin sont ils raisonnables ? Presque les même qu’avant avec le mercredi en plus. Pourquoi notre ministre n’impose-t-il pas aux villes les même horaires ? Et que pense-t-il des horaires de Pantin ?
La perspective de devoir faire le tableau des réunions,
La perspective de devoir faire les élections de parents d’élèves ,
La perspective de devoir faire les plans de sécurité,
La perspective d’aller expliquer aux nouveaux le carnet de suivi des apprentissages premiers, alors que l’Etat nous a laissé faire tout seuls ce « truc », car selon les circonscriptions, départements, personne n’a le même, certains ont un livret qu’ils tamponnent ce qui a le mérite d’être pratique et moins chronophage, d’autres collent des vignettes, écrivent, prennent des photos… ceci prend un temps monstrueux aux enseignants. Certains s’en sortent mieux avec l’application sur tablette sur apple, bien sûr tout équipement est sur les deniers personnels des enseignants.
La perspective de devoir faire avec la nouvelle direction du centre de loisirs qui nous envoient des animateurs à 12 heures 10 pour enquêter sur la probabilité que l‘enseignante ait appelé la famille d’un enfant qui est tombé et qui dénie une fois qu’elle a la réponse, et le lendemain pareil à midi pour un autre enfant alors qu’il n’est pas inscrit au centre de loisirs!! cela augure des relations futures !
La perspective de devoir attendre pour voir mon médecin pour la toux qui m’empêche de dormir depuis plusieurs jours
La perspective de dire encore en conseil d’école que les enseignants sont les seuls à qui
l‘employeur (l‘État qu‘il s‘agisse de l’Education Nationale ou de la collectivité locale) ne fournit pas leur outil de travail, et même avec leurs outils personnels, ils ont du mal à travailler, franchement 2 heures de pause méridienne et pas d’ordinateur pour 11 classes, la clé USB pour le service informatique de la ville de Pantin est un danger digne de
déclencher une guerre !
3/3
La perspective de tous ces petits riens qui occupent à 200 % notre journée
Je dois dire aussi que je n’ai pas confiance au soutien et à la protection que devrait nous apporter notre institution, d’ailleurs, il n’y a aucun maillon de prévu, les inspecteurs de circonscription ont probablement encore plus de travail que les directeurs, et la cellule de crise quelle blague ! L’idée est de ne pas faire de vague et de sacrifier les naufragés dans la tempête ! Pourvu que la presse ne s‘en mêle pas ! J’ai vu mon amie
se relever difficilement de ce manque de soutien.
En l’occurrence, je ne vois pas de quoi la presse se mêlerait ! Personne dans l’école n’a rien à se reprocher, j’ai des collègues formidables qui font très bien leur travail, les enfants sont en sécurité dans un cadre rassurant.
Je laisse à la cellule de l’éducation nationale le soin de gérer au mieux le mal être qui va suivre suite au choix du lieu de ma fin de vie, et je suis particulièrement désolée pour
qui se remet à peine du décès de ses parents.
Et pour finir, je me demande si je ne ferai pas une petite déprime !!! je n’ai pas l’habitude, j’en ai jamais fait, mais j’ai une boule dans la gorge depuis ce matin et envie de pleurer et je suis tellement fatiguée !
Je remercie les parents d’élèves élus qui ont toujours été là,
Je remercie les parents en général
Je remercie mes collègues directeurs
Je remercie mes collègues pour leur travail avec leur classe, particulièrement à l a
e, et bravo les nouveaux arrivants !
je remercie les enfants qui ont fréquenté et qui fréquentent l’école
Je remercie aussi les nombreux animateurs avec qui nous échangeons des bonjours cordiaux
Je remercie l’Institution de ne pas salir mon nom,
Christine Renon Directrice épuisée